Anna Chevrier et Pascal Biras nous ont expliqué que dans Prêt-à-parler, la nouvelle collection de FLE pour grands adolescents et adultes des Éditions Maison des Langues, ils ont adopté une approche non pas grammaticale, mais phraséologique de la langue. Qu’est-ce que ça signifie ? Est-ce que ça veut dire qu’on ne fait pas de grammaire ?
Cet article est basé sur des extraits de la Rencontre virtuelle FLE tenue le 1er mars 2023 et disponible en intégralité ici :
Prêt-à-parler adopte une approche phraséologique de la langue, qui voit celle-ci comme une suite de chunks, c’est-à-dire des combinaisons d’éléments qui, ensemble, font sens. Un chunk, c’est ce qui permet de répondre de manière spontanée à une situation de communication dans un contexte ciblé.
On ne peut pas séparer la pratique du lexique de celle de la grammaire : les chunks se composent des deux. Par exemple, « faire la lessive » ou « faire les courses ». Il n’est pas nécessaire de savoir pourquoi on doit utiliser un article plutôt qu’un autre (la lessive, les courses) pour pouvoir communiquer !
Cette approche phraséologique de la langue est utilisée tout au long de Prêt-à-parler pour construire la compétence linguistique.
Par exemple, regardons la progression dans l’unité 7, dans laquelle on parle des habitudes numériques. Dans l’activité 1, le document d’ouverture de l’unité, on a une infographie sur la manière dont les Français utilisent leur téléphone portable. Une fois qu’on a étudié cette infographie avec les apprenants, l’activité 2 est une compréhension orale : on leur demande d’identifier qui dit quoi. À cette occasion, on leur donne par écrit les phrases avec les « je » : ce sont des chunks. On ne cherche pas à expliquer pourquoi on dit « Je vais sur les réseaux sociaux » ou « Je lis mes mails ».
Grâce au support écrit de l’activité 2, les apprenants vont pouvoir réutiliser ces phrases dans l’activité 3, où on demande aux apprenants de parler un petit peu de leurs habitudes avec leur téléphone portable. On a toujours cherché à engendrer de la coopération dans les activités. Dans l’activité 3 on demande par exemple « Est-ce que vous êtes hyperconnecté/e ? » et surtout, « Qui est le plus connecté ? », ce qui permet aux apprenants d’échanger entre eux.
Donc la compréhension orale de l’activité 2 est un échantillon sur lequel les apprenants peuvent s’appuyer pour pouvoir parler de leurs habitudes numériques avec le téléphone portable.
Prêt-à-parler s’inscrit dans une approche non-grammaticale de la langue, une vision pragmatique et phraséologique de la grammaire.
Prenons l’exemple des pronoms relatifs « qui » et « que » dans le niveau A2. Avoir une approche grammaticale de ce point, c’est enseigner en parallèle « qui » et « que » et encourager les apprenants à se poser la question : « Quand est-ce qu’on utilise l’un et quand est-ce qu’on utilise l’autre ? ».
Avec une dynamique pragmatique et phraséologique de la grammaire, comme on la trouve dans Prêt-à-parler, on s’intéresse plutôt à la fonction communicative du pronom relatif « qui » : quand on utilise « qui », c’est très souvent pour définir. Dans une unité sur les souvenirs, on enseigne seulement « qui », avec des exemples qui sortent dans la langue naturelle quand on parle de ses souvenirs d’école : « Est-ce que tu te souviens d’Anna ? » « Ah oui, c’est la fille qui portait une chemise rose ». Le pronom « qui » vient naturellement dans sa fonction de définir quelqu’un ou quelque chose. Et donc on l’a dissocié du pronom « que ».
Ce n’est pas une vision purement grammaticale, pour laquelle « qui » et « que » doivent aller ensemble parce qu’ils sont tous deux des pronoms relatifs. On traite de la grammaire dans Prêt-à-parler, mais elle est mise au service de la communication et des actes de parole. Ce n’est pas elle qui dicte ce qu’on doit dire et ce qu’on doit apprendre : c’est la phrase qui nous intéresse.
Prêt-à-parler ne cherche pas à encourager l’apprenant à essayer de comprendre le fonctionnement d’une langue dont il n’a pas encore toutes les bases, puisqu’il est en train de l’apprendre.
Prenons par exemple l’unité 6 du niveau A1, une unité qui est consacrée à la liste des courses et au supermarché, et qui introduit à la fois les aliments, les articles partitifs et l’expression de la nécessité. Le verbe « falloir », et surtout le verbe « falloir » au négatif, est introduit à travers un document audio de compréhension orale. Puis on demande aux apprenants de relever les énoncés qu’ils entendent pour exprimer l’absence de nécessité : « Il ne faut pas de thon, de bananes, de chips pour les enfants ».
Dans une approche purement grammaticale, on demanderait aux apprenants d’analyser qu’après le verbe « falloir » au négatif, il faut utiliser « de » et non pas le partitif : en d’autres termes, on utilise beaucoup de méta-langage technique, qui finit souvent par perdre nos apprenants et les décourager, en leur faisant croire que c’est très compliqué !
Dans la vraie vie, et dans Prêt-à-parler, la grammaire est toujours contextualisée. Le fait d’entendre, de relever, de répéter et de s’approprier ces énoncés, ça va bien plus vite et c’est beaucoup plus efficace !
Une approche non-grammaticale de la grammaire, c’est inviter nos apprenants à s’approprier une grammaire qui ait du sens à travers une appropriation d’énoncés. C’est une approche qui correspond à une acquisition naturelle de la langue : quand on apprend une langue, quand on vit dans un bain linguistique qui est celui de notre langue maternelle. On s’approprie de petits énoncés, sans se poser de questions sur la grammaire.
Cela convient bien aux apprenants impatients, qui veulent communiquer rapidement et « se mettre en bouche la langue », plutôt que comprendre le pourquoi du comment. Dans les doubles-pages de leçons, il y a des petits encadrés de lexique, de grammaire, mais toutes les règles de grammaire ne sont explicitées qu’en fin d’unité, c’est-à-dire après que l’apprenant s’est approprié les actes de parole et les énoncés qui l’intéressent dans l’unité. S’il veut approfondir et comprendre la règle de grammaire, il le peut ; s’il ne veut pas, il peut continuer à progresser sans avoir théorisé.
Notre dernier exemple est tiré de l’unité 11 du niveau A1, quand on introduit le passé composé pour la première fois.
Une activité invite les apprenants à reconstituer comme un puzzle l’histoire racontée dans le carnet de voyage de la famille Duriand. Quand les apprenants essaient de reconstituer le fil de l’histoire en groupes, ils sont amenés à reconstruire, à formuler, à dire entre eux des énoncés tels que « Marion et Yann sont montés dans un bus » Ou « Marion et Valentine ont visité un château ».
Ils vont « se mettre en bouche de la langue », avant de vérifier en groupe-classe qu’ils ont tous la même chronologie. Ils utilisent l’acte de parole « raconter une action au passé », avant de s’intéresser à la question d’« être » et « avoir » au passé composé : ça viendra après. Le sens avant tout.
Dans Prêt-à-parler, on invite les apprenants à s’approprier des énoncés, des segments de langue sur lesquels ils vont pouvoir s’appuyer pour communiquer. C’est similaire à ce que faisait la méthode directe, il y a quelques années, mais avec une progression plus logique, et des actes de parole plus pertinents et plus cohérents.
Nos apprenants vont parler au passé composé presque sans s’en rendre compte. C’est ce vers quoi on voulait aller : la spontanéité, le naturel, avant d’expliquer pourquoi on utilise quelquefois le verbe « être » et quelquefois « avoir ».
Vous pouvez voir l’intégralité de la Rencontre virtuelle FLE ici :